La collecte des déchets ménagers est une activité qui connaît un succès ces dernières années dans certains quartiers de la ville de Yaoundé. Des jeunes sillonnent, filets en mains, rues et poubelles, pour rechercher et récupérer des objets divers. Perçue comme peu valorisante, elle permet pourtant à ces jeunes de vivreet contribuer, à leur manière, à la protection del’environnement.
Visage dégoulinant de sueur, genoux fléchis sous le poids du sac qui écrase ses frêles épaules, Junior, l’un des multiples «attaquants» qui travaillent avec “Pa Show” vient de décharger avec délicatesse le filet de bouteilles de verre. Il est 12 heures. Comme beaucoup, son travail commence à 5 heures du matin, pour espérer collecter aux alentours des débits de boissons, des marchés et déchargesdu quartier Carrossel et ses environs. « Je sors très tôt autour de 5h, après avoir pris ma boîte de lait non sucré. J’attache mon paquet de sac vide, et je prends la direction des bars qui se trouvent au carrefour Carrossel » confie-t-il.
Issu d’une famille modeste, Junior a dû arrêter ses études en classe de première pour se lancer dans cette activité peu valorisée et pourtant lucrative. «Quand on mène cette activité, c’est avant tout parce qu’on n’a pas mieux à faire. Les emplois sont rares et pour ne pas voler, je récupère les déchets dans les poubelles. Et avec ça, je gagne de l’argent tous les jours, entre cinq et sept mille francs CFA».
Pa Show, de son vrai nom Roger Medja, est l’homme à qui ces sacs remplis de déchets sont destinés. Originaire de Sangmélima, au sud du pays, ce sexagénaire dont la réputation de collecteur de déchets est restée chevillée au corps, a élu domicile dans le quartier il y a près de dix-sept ans. Il y commence alors la collecte et la vente des déchets. Du matin au soir, des objets de récupération sont déposés par milliers dans cette allée qui lui sert désormais d’atelier, depuis la perte de son premier site. La location de cet espace lui coûte cinquante mille francs tous les mois. Ses bénéfices hebdomadaires le lui permettent bien : «Cette activité donne de l’argent. J’ai actuellement de nombreuses commandes de bouteilles. J’achète, par exemple, une bouteille de bière vide à 100 francs, je la revends à 200 francs ; un kilo de cuivre à 1.250 francs, je revends parfois à 2.000 francs. Je fais des bénéfices d’au moins 100.000 francs par semaine », dit-il, avec un large sourire.
Bien que n’ayant pas suscité l’intérêt des riverains au départ, ce sont des tonnes d’objets qui sont livrés ici. Parmi ses fournisseurs, des jeunes, des chefs de famille et des agents d’HYSACAM, l’une des sociétés de collecte des ordures ménagères de la ville, et même des gamins de quatre et cinq ans.
Joris et Pascal, des jeunes de 15 et 16 ans viennent livrer des bouteilles et des papiers pour en espérer tirer 3.000 francs ou plus, très souvent, à l’insu de leurs parents. D’après Pascal, « comme nous sommes en vacances, nous sortons à 10 heures, nous collectons et nous rentrons à 14 heures. Grâce à cet argent, nous allons acheter des sous-vêtements, des chaussures et des habits. Nous mangeons bien aussi ». « Il y a des familles pauvres, avec beaucoup d’enfants, à peine un repas par jour et ce repas ne représente en fait qu’une ration de survie. La maman peut tenir un petit commerce au marché, mais c’est avec ça qu’on paie le loyer, les factures d’électricité, la scolarité des enfants ; on se soigne aussi. Ce n’est pas évident.», renchérit Pa Show.
Comme ces fournisseurs, les clients sont aussi divers. Le collectionneur assure en fait le lien entre ces jeunes collecteurs-vendeurs et les entreprises qui ont la dernière utilisation des produits. Pa Show est en contact avec des entreprises telles que SOCAVERRE, une usine chinoise de fabrication des cahiers située à la périphérie de la ville, les vendeuses d’arachides grillées, des producteurs de jus naturels, des particuliers ainsi que des techniciens. « Beaucoup viennent ici passer leurs commandes de bouteilles. Parfois, ils me donnent des espèces, on s’arrange sur le prix et la quantité, et je leur fixe un délai plus ou moins raisonnable en fonction de la disponibilité des produits. Je livre aussi de vieilles perruques aux femmes qui ont des salons de coiffure, des objets électroménagers aux techniciens…».
Seulement, l’activité prospère, non sans difficulté. Aux problèmes d’hygiène et de santé posés par le contact quotidien avec la décharge, s’est ajouté celui du vol. Des personnes malveillantes ont souvent transformé des objets utiles dérobés en déchets recyclables pour les vendre au collectionneur. Cela a valu à Pa Show d’être poursuivi pour recel. Dès lors, le sexagénaire a prescrit des règles strictes concernant l’achat des ustensiles de maison. «Pour acheter un ustensile de maison par exemple, je regarde en premier son état. Il ne doit pas être neuf, il ne doit pas être propre, il ne doit pas être utile en l’état, son prix doit être dérisoire. Evidemment, je regarde aussi la personne qui me vend ces choses.»
Malgré l’importance que revêt cette occupation tant pour l’environnement que pour l’économie, elle demeure une activité de subsistance. Les jeunes appellent de tous leurs vœux l’accompagnement de l’Etat, la création d’entreprises dans lesquelles ils auront un statut, des moyens de travail et de protection conséquents. Après tout, la protection de l’environnement n’est-elle pas une affaire d’envergure nationale et même mondiale aujourd’hui ?
Yves Zembida