Il tisse, tresse et vend ses créations à Yaoundé. Portait d’un artisan qui ne ménage pas sa peine, et qui a besoin du renfort de la jeune génération pour transformer cette activité en une véritable industrie.
Nouvelle route Bastos, dans le 2ème arrondissement de la ville de Yaoundé, un homme est assis au bord d’une rigole, un chapeau de paille sur la tête. Il a toute l’allure d’une personne socialement inadaptée. Que Non ! Sévérin Tamwo est un artisan vannier, rotinier et bamboutier. Au moment de notre visite, il réalise l’entrelacement d’une chaise de salle de séjour. Son habileté est remarquable. Du rotin et du bambou, il fait son gagne-pain depuis plus de 20 ans, grâce à la fabrication des meubles et autres accessoires. « Je fais des lits en bambou; je fais des meubles, des penderies ; je fais dans la construction et dans la transformation. Sa nourrit son homme. Tu peux t’en sortir ; tu peux envoyer ton enfant à l’école ; tu peux faire étudier un enfant en Europe », précise-t-il, avant d’ajouter que c’est en effet grâce aux revenus générés à partir de cette activité qu’il a pu s’offrir une formation en sciences en Suède. Une activité qu’il ne mène pas par manque de repère, mais par passion. « Quand j’étais petit, j’étais avec un de nos locataires à Douala; j’étais alors étudiant. Ce qui m’a amené dans le bambou et le rotin c’est que j’ai vu la façon dont le monsieur travaillait, et il me motivait beaucoup. Il me donnait beaucoup d’argent de poche, et puis, un jour, je lui ai proposé de lui donner un coup de main.C’était parti! », raconte-t-il.
D’amateur à professionnel
L’engagement de Sévérin Tamwo fait de lui aujourd’hui le propriétaire d’une entreprise, qu’il a baptisée African Cane Furniture, Bamboo and Wood. « C’est une entreprise que j’ai eu en esprit. Mais quand je venais de commencer, elle n’était pas visible. C’est quand je me suis installé ici que j’ai fait ma plaque (rires). J’ai dit que je mets maintenant le nom de mon entreprise. J’ai fait les papiers. Je suis africain et je fabrique des meubles africains. J’ai dit, pourquoi pas ? Il faut que je donne ce nom à mon entreprise », confit-il celui qui est par ailleurs président de la plateforme nationale des professionnels bambou-rotin, et un expert sollicité dans le monde. « Je suis allé en Chine quatre fois pour des séminaires, pour des formations aussi. La Chine est accueillante et a beaucoup d’avance dans le domaine du bambou. Je suis connu en Allemagne, de même qu’aux Etats-Unis. La France nous attendait dernièrement pour unecompétition où je devais être membre du jury », dit-il.
Des obstacles non négligeables
A Yaoundé et au Cameroun, Sévérin s’est fait une certaine notoriété. L’artisan nourrit l’ambition d’exporter ses créations hors des frontières camerounaises. Il y a cependant des réalités à prendre en considération. Entre désintérêt des jeunes, intempéries, manque de main d’œuvre, la situation est quelque peu inquiétante. «Nous avons des difficultés au niveau de la main d’œuvre. Ce qui rend l’industrialisation du bambou un peu compliquée au Cameroun. Il y a parfois des intempéries qui empêchent les gens d’aller en brousse pour avoir la matière première. Ainsi, nous ne parvenons pas quelques fois à satisfaire nos clients. Les jeunes ne sont pas trop intéressés parce qu’ils estiment que c’est sale. Tu connais la mentalité des jeunes d’aujourd’hui… », regrette-t-il.
L’artisan est disposé à offrir des sessions de formation à toute personne désireuse, surtout aux jeunes, car le secteur de la vannerie est une mine d’or. « Je dis aux jeunes qu’il ne faut pas minimiser le métier. Au lieu de passer le temps à parler du manque d’emploi, ils doivent se lancer. Ce métier a multiplié les emplois en Chine. Il y a des familles qui se nourrissent de ça. S’ils pouvaient vraiment venir apprendre, ils auraient un avenir meilleur. Venez vous asseoir, apprenez quelque chose. Il y a tellement d’opportunités », martèle-t-il.
Sévérin n’a pas les deux jambes uniformes. En effet, celle de gauche présente une certaine anomalie, d’où sa démarche boiteuse. Situation qu’il vit depuis tout petit. « C’est ma grand-mère qui me le dit, parce que je n’ai jamais constaté que je boite. Dans ma tête, je sais que je suis droit », rassure-t-il. Il est aussi très bon athlète. « Etant un karatéka, ceinture noire, première dan de judo, quatrième dan taekwondo, quand tu m’attaques, je quitte les lieux, parce que si je me fâche de toi, je vais te tuer. Mon pied ne me dit absolument rien. Les nouveaux apprenants viennent me voir pour que je les forme », confie- t-il.
Marie Judith Ndongo